top of page

Comme des brebis sans berger

Dernière mise à jour : 1 mai

Troisième messe des Novemdiales


Ma voix fragile est ici aujourd'hui pour exprimer la prière et la douleur d'une partie de l'Église, celle de Rome, lourde de la responsabilité que l'histoire lui a confiée.

Ces jours-ci, Rome est un peuple qui pleure son évêque, un peuple qui, avec d'autres peuples, s'est mis en file, trouvant un espace dans les lieux de la ville pour pleurer et prier, comme des brebis sans berger.

Des brebis sans berger : une métaphore qui nous permet de recomposer les sentiments de ces jours-ci et de traverser la profondeur de l'image que nous avons reçue de l'Évangile de Jean, le grain de blé qui doit mourir pour porter du fruit. Une parabole qui raconte l'amour du berger pour son troupeau.

En ce moment, alors que le monde brûle et que peu ont le courage de proclamer l'Évangile en le traduisant en une vision d'avenir possible et concret, l'humanité apparaît comme des brebis sans berger. Cette image sort de la bouche de Jésus qui pose son regard sur les foules qui le suivent.

Autour de lui se trouvent les apôtres qui lui rapportent tout ce qu'ils ont fait et enseigné. Les paroles, les gestes, les actions apprises du Maître, l'annonce du royaume de Dieu qui vient, la nécessité d'un changement de vie, associés à des signes capables de donner corps aux paroles : une caresse, une main tendue, des discours désarmés, sans jugement, libérateurs, sans crainte du contact avec l'impureté. En accomplissant ce service, nécessaire pour réveiller la foi, pour susciter l'espoir que le mal présent dans le monde n'aurait pas le dernier mot, que la vie est plus forte que la mort, ils n'avaient même pas eu le temps de manger.

Jésus en ressent le poids, et cela nous réconforte aujourd'hui.

Jésus, le vrai berger de l'histoire qui a besoin de son salut, connaît le poids qui pèse sur chacun de nous pour poursuivre sa mission, surtout lorsque nous nous retrouverons à chercher le premier de ses bergers sur terre.

Comme au temps des premiers disciples, il y a des résultats et aussi des échecs, de la fatigue et de la peur. La portée est immense, et les tentations s'insinuent, voilant la seule chose qui compte : désirer, chercher, œuvrer dans l'attente d'« un ciel nouveau et une terre nouvelle ».

Ce n'est pas le moment des équilibristes, des tactiques, des prudences, le moment qui favorise l'instinct de retour en arrière, ou pire, les revanches et les alliances de pouvoir, mais il faut une disposition radicale à entrer dans le rêve de Dieu confié à nos pauvres mains.

Je suis frappé en ce moment par ce que nous dit l'Apocalypse : « Moi, Jean, j'ai vu la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui descendait du ciel, de chez Dieu, prête comme une épouse parée pour son époux ».

Un nouveau ciel, une nouvelle terre, une nouvelle Jérusalem.

Face à l'annonce de cette nouveauté, nous ne pouvons pas nous laisser aller à cette paresse mentale et spirituelle qui nous lie aux formes d'expérience de Dieu et aux pratiques ecclésiales connues dans le passé et que nous souhaitons voir se répéter à l'infini, subjugués par la peur des pertes liées aux changements nécessaires.

Je pense aux multiples processus de réforme de la vie de l'Église lancés par le pape François, qui dépassent les appartenances religieuses. Les gens ont reconnu en lui un pasteur universel, et la barque de Pierre a besoin de cette navigation large qui dépasse les frontières et surprend.

Ces gens portent dans leur cœur une inquiétude, et je crois y percevoir une question : qu'adviendra-t-il des processus engagés ?

Notre devoir devrait être de discerner et d'ordonner ce qui a été commencé, à la lumière de ce que notre mission exige de nous, dans la direction d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre, en parant l'Épouse pour l'Époux. Alors que nous pourrions chercher à habiller l'Épouse selon les convenances mondaines, guidés par des prétentions idéologiques qui déchirent l'unité des vêtements du Christ.

Chercher un pasteur, aujourd'hui, signifie avant tout chercher un guide qui sache gérer la peur des pertes face aux exigences de l'Évangile.

Chercher un pasteur qui ait le regard de Jésus, épiphanie de l'humanité de Dieu dans un monde qui a des traits inhumains.

Chercher un pasteur qui confirme que nous devons marcher ensemble, en composant des ministères et des charismes : nous sommes le peuple de Dieu constitué pour annoncer l'Évangile.

Jésus, en regardant les gens qui le suivent, sent vibrer en lui la compassion : il voit des femmes, des hommes, des enfants, des vieux et des jeunes, des pauvres et des malades, et personne pour prendre soin d'eux, pour nourrir leur faim de la vie qui est devenue dure, et leur faim de la Parole. Devant ces personnes, il se sent être leur Pain qui ne déçoit pas, leur eau qui désaltère sans fin, le baume qui guérit leurs blessures.

Il éprouve la même compassion que Moïse qui, à la fin de ses jours, du haut du mont Abarim, face à la Terre qu'il ne pourra pas fouler, regardant la multitude qu'il a guidée, prie le Seigneur pour que ce peuple ne devienne pas un troupeau sans berger, un peuple qu'il ne peut pas garder auprès de lui, un peuple qui doit aller de l'avant.

Cette prière est maintenant notre prière, celle de toute l'Église et de toutes les femmes et tous les hommes qui demandent à être guidés et soutenus dans les difficultés de la vie, entre doutes et contradictions, orphelins d'une parole qui les guide parmi les chants des sirènes qui flattent les instincts d'autorédemption, qui brise les solitudes, recueille les rebuts, qui ne cède pas à la tyrannie, et qui ait le courage de ne pas plier l'Évangile aux compromis tragiques de la peur, à la complicité avec les logiques mondaines, aux alliances aveugles et sourdes aux signes du Saint-Esprit.

La compassion de Jésus est celle des prophètes qui manifestent la souffrance de Dieu en voyant le peuple dispersé et maltraité par de mauvais bergers, par des mercenaires qui se servent du troupeau et qui s'enfuient quand ils voient arriver le loup. Les mauvais bergers ne se soucient guère des brebis, ils les abandonnent au danger, et c'est pourquoi elles seront enlevées et dispersées.

Tandis que le bon berger offre sa vie pour ses brebis.

C'est de cette disposition radicale du berger que parle la page de l'Évangile de Jean proclamée dans cette liturgie eucharistique, qui nous présente le témoignage de la façon dont Jésus parvient à voir au-delà de la mort, quand l'heure serait venue de glorifier sa mission. L'heure de la mort sur la croix qui manifeste l'amour inconditionnel pour tous.

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ». Le grain de blé qui a cherché la terre par l'incarnation du Verbe, tombé pour relever ceux qui tombent, venu chercher ceux qui se sont perdus.

Sa mort est une semence qui nous laisse suspendus à cette heure où la graine n'est plus visible, enveloppée par la terre qui la cache, nous faisant craindre qu'elle ait été gaspillée. Une suspension qui pourrait nous angoisser, mais qui peut devenir un seuil d'espérance, une fissure dans le doute, une lumière dans la nuit, un jardin pascal.

La fécondité promise appartient à la disposition à la mort ; devenir du blé mâché, otage de l'infidélité et de l'ingratitude auxquelles Jésus, le bon pasteur qui offre sa vie pour ses brebis, répond par le pardon demandé au Père, alors qu'il meurt abandonné par ses amis.

Le bon berger sème par sa mort, en pardonnant à ses ennemis, en préférant leur salut, le salut de tous, au sien.

Si nous voulons être fidèles au Seigneur, au grain de blé tombé en terre, nous devons le faire en semant avec notre vie.

Et comment ne pas nous souvenir du psaume : « Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie » !

Il y a des moments comme le nôtre où, comme le fermier auquel fait référence le psalmiste, semer devient un geste extrême, motivé par la radicalité d'un acte de foi.

C'est le temps de la famine, la semence jetée en terre est celle qui a été soustraite à la dernière réserve sans laquelle on meurt. Le fermier pleure parce qu'il sait que ce dernier acte lui demande de risquer sa vie.

Mais Dieu n'abandonne pas son peuple, il ne laisse pas seuls ses bergers, il ne permettra pas, comme pour son Fils, qu'il soit abandonné dans le sépulcre, dans la tombe de la terre.

Notre foi garde la promesse d'une moisson joyeuse, mais qui devra passer par la mort de la semence qui est notre vie.

Ce geste extrême, total, épuisant, du semeur m'a fait repenser au jour de Pâques du pape François, à ce déversement sans réserve dans la bénédiction et l'étreinte de son peuple, la veille de sa mort. Dernier acte de son semis sans réserve, l'annonce des miséricordes de Dieu.

Merci, pape François.

Que Marie, la Sainte Vierge que nous vénérons à Rome sous le nom de Salus populi romani, qui accompagne et veille maintenant sur sa dépouille mortelle, accueille son âme et nous protège pour que nous poursuivions sa mission. Amen.


Troisième messe des Novemdiales

HOMÉLIE DU CARDINAL BALDASSARE REINA,

VICAIRE GÉNÉRAL DE SA SAINTETÉ POUR LE DIOCÈSE DE ROME

Basilique Saint-Pierre

Lundi 28 avril 2025

Comentarios


bottom of page