Nous ne sommes que des pèlerins à qui a été donnée la Parole
- Paroisse de Lasne
- 3 mai
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Bienheureux, vénérés Pères Cardinaux, frères et sœurs,
il y a quelques jours, nous avons prié sur la dépouille de notre Saint Père François et, sur ce corps, nous avons proclamé notre foi inébranlable en la résurrection des morts. En ces jours, notre certitude et notre invocation se poursuivent afin que le Seigneur regarde avec miséricorde son serviteur fidèle.
En effet, comme nous le rappelle la première lecture, la résurrection n'est pas un phénomène inhérent à la nature humaine. C'est Dieu qui nous ressuscite, par son Esprit. Des eaux du baptême, nous avons émergé comme des créatures nouvelles, membres de la famille de Dieu, ses intimes ou, comme le dit saint Paul, ses enfants adoptifs et non plus ses esclaves. Et c'est précisément parce que nous sommes ses enfants que, dans le même Esprit, il nous est donné de crier notre invocation : « Abba, Père ». À ce cri s'associe toute la création qui, dans les douleurs de l'enfantement, attend sa guérison. La création et la personne humaine semblent avoir si peu de valeur aujourd'hui. Et pourtant, parmi nous, il y a des cardinaux, comme ceux qui viennent d'Afrique, qui ressentent spontanément la beauté du fruit de ces douleurs, car une nouvelle vie est une valeur inestimable pour leurs peuples.
Apparaît ensuite le thème de la création comme compagne de voyage de l'humanité et solidaire avec elle, tout comme elle demande la solidarité du genre humain, afin d'être respectée et guérie. C'est un thème qui était très cher à notre Pape François.
Autour de nous, nous ne faisons que percevoir le cri de la création et, en elle, le cri de ceux qui sont destinés à la gloire et qui sont la finalité pour laquelle la création a été voulue : la personne humaine. La terre crie, mais surtout crie une humanité submergée par la haine, elle-même fruit d'une profonde dévalorisation de la vie qui, comme nous l'avons entendu, est pour nous chrétiens une participation à la famille de Dieu, jusqu'à la concorporeité et la consanguinité avec le Christ Seigneur, que nous célébrons dans ce sacrement de l'Eucharistie.
Très souvent, cette humanité désespérée a du mal à exprimer dans son cri sa prière et son invocation au Dieu de la vie. Et c'est alors, nous rappelle saint Paul, que l'Esprit intervient en nous et rend nos silences de pierre et nos larmes inexprimées en une invocation à notre Dieu par des gémissements inexprimables ou, comme on peut aussi le traduire, par des gémissements inexprimés, c'est-à-dire silencieux. C'est une expression très chère au monde chrétien oriental qui voit dans l'incapacité d'exprimer Dieu (apophase) l'une des caractéristiques de la théologie : la contemplation de l'incompréhensible, la vaine tentative de lever le voile sur la vérité suprême et donc, au mieux, la possibilité de dire, comme le répétera saint Thomas d'Aquin en Occident, non pas ce que Dieu est, mais ce qu'Il n'est pas.
Voilà une grande leçon pour nous qui nous sentons souvent les maîtres de Dieu, les connaisseurs parfaits de la vérité, alors que nous ne sommes que des pèlerins à qui a été donnée la Parole, qui est le Fils de Dieu incarné, car ce qui nous a donné le don de vivre dans la gloire de Dieu n'est que le fruit de la grâce et de cette infusion du Saint-Esprit qui nous rend, précisément, « spirituels ». Et en Orient, le père et la mère spirituels sont le moine, la moniale ou, en tout cas, le guide de ceux qui cherchent Dieu. Nous aussi, Occidentaux, avant d'appeler ces personnes « directeurs » spirituels, nous les appelions pères et mères spirituels. Un changement intéressant.
Dans cette Eucharistie, nous voulons nous unir comme nous le pouvons et comme nous le savons, malgré notre aridité, nos distractions, nos pertes continuelles de concentration sur l'essentiel, au gémissement inexprimable de l'Esprit qui crie à Dieu ce qui lui est agréable et ce qui exprime pleinement le gémissement de notre nature, que nous ne savons pas formuler en mots, aussi parce que nous ne nous accordons même pas, emportés par la hâte, le temps de nous connaître, de le connaître, de l'invoquer. Saint Augustin nous invite à entrer en nous-mêmes car c'est là que l'on peut trouver le sens authentique qui non seulement exprime ce que nous sommes, mais crie au Père notre besoin d'être des enfants aimés, en répétant : « Abbá, Père » : « Noli foras ire, in te ipsum redi ; in interiore homine habitat veritas ».
Celui qui aime sa vie la perdra, nous rappelle l'Évangile selon Jean, et celui qui hait sa vie la trouvera. Dans cette phrase si extrême, le Seigneur exprime notre spécificité de chrétiens, considérés par le monde comme les disciples d'un perdant, d'un vaincu de la vie, qui, par sa mort, et non par l'édification d'un royaume terrestre, a sauvé le monde et racheté chacun de nous.
Le pape François nous a enseigné à recueillir le cri de la vie violée, à le prendre en charge et à le présenter au Père, mais aussi à œuvrer pour soulager concrètement la douleur que suscite ce cri, sous toutes les latitudes et dans les infinies manières dont le mal nous affaiblit et nous détruit.
Aujourd'hui, la liturgie est animée et suivie par certains Pères et fils et filles des Églises catholiques orientales, présents parmi nous pour témoigner de la richesse de leur expérience de foi et du cri de leur souffrance, offerte pour le repos éternel du défunt Pontife.
Nous leur disons merci d'avoir accepté d'enrichir la catholicité de l'Église par la diversité de leurs expériences, de leurs cultures, mais surtout de leur spiritualité très riche. Enfants des débuts du christianisme, ils ont porté dans leur cœur, avec leurs frères et sœurs orthodoxes, le goût de la terre du Seigneur, et certains continuent même à parler la langue que Jésus-Christ parlait.
À travers les développements prodigieux et douloureux de leur histoire, ils ont atteint des dimensions importantes et enrichi le trésor de la théologie chrétienne d'une contribution aussi originale que, pour une grande part, inconnue de nous, Occidentaux.
Dans le passé, les catholiques orientaux ont accepté d'adhérer à la pleine communion avec le successeur de l'apôtre Pierre, dont le corps repose dans cette basilique. Et c'est au nom de cette union qu'ils ont témoigné, souvent par leur sang ou par la persécution, de leur foi. Aujourd'hui, en partie réduits en nombre et en forces, mais pas dans leur foi, précisément à cause des guerres et de l'intolérance, ces frères et sœurs restent fermement attachés à un sens de la catholicité qui n'exclut pas, mais implique au contraire, la reconnaissance de leur spécificité.
Au cours de l'histoire, ils ont parfois été mal compris par nous, Occidentaux, qui, à certaines époques, les avons jugés et avons décidé ce qui, dans leur croyance, descendante des apôtres et des martyrs, était ou n'était pas fidèle à la théologie authentique (c'est-à-dire la nôtre), tandis que leurs frères orthodoxes, consanguins et participants à la même culture, à la même liturgie et à la même manière de sentir l'être et l'agir de Dieu, les considéraient comme ayant fui leur foyer, perdus à leurs origines et assimilés à un monde alors considéré comme mutuellement incompatible. liturgie et manière de ressentir l'être et l'agir de Dieu, les considéraient comme des fugitifs, perdus à leurs origines et assimilés à un monde alors jugé mutuellement incompatible.
Le pape François, qui nous a enseigné à aimer la diversité et la richesse de l'expression de tout ce qui est humain, se réjouit aujourd'hui, je crois, de nous voir réunis pour prier pour lui et pour son intercession. Et nous nous engageons une fois de plus, alors que beaucoup d'entre eux sont contraints de quitter leurs terres ancestrales, qui étaient la Terre Sainte, pour sauver leur vie et voir un monde meilleur, à sensibiliser, comme l'avait souhaité notre Pape, à les accueillir et à les aider dans nos terres à conserver la spécificité de leur apport chrétien, qui fait partie intégrante de notre être Église catholique.
Aux yeux et au cœur de nos frères et sœurs d'Orient, il a toujours été cher de préserver l'incroyable paradoxe de l'événement chrétien : d'une part, la misère de notre nature pécheresse, d'autre part, l'infinie miséricorde de Dieu qui nous a placés à côté de son trône pour partager même son être, à travers ce que le grand évêque et docteur saint Athanase, que l'Église commémore aujourd'hui, appelle la « divinisation ».
Leur liturgie est tout entière tissée de cet émerveillement. Ainsi, par exemple, en cette période liturgique, la tradition byzantine répète sans cesse cette expérience ineffable, en disant, en chantant et en communiquant aux autres : « Le Christ est ressuscité des morts, foulant aux pieds la mort, et il a donné la vie aux morts dans les tombeaux ». Et ils le répètent sans cesse, comme pour le faire entrer dans leur cœur et dans celui des autres.
Ce même émerveillement s'exprime également dans la liturgie arménienne, qui prie avec les paroles de saint Grégoire de Narek, que le pape François a voulu inscrire parmi les docteurs de l'Église et que la tradition a intégré dans l'eucologie eucharistique : « Nous t'implorons, Seigneur, que nos péchés soient consumés par le feu comme ceux du prophète ont été consumés par le charbon ardent qui lui a été offert avec des pinces, afin que ta miséricorde soit proclamée en tout, comme la douceur du Père a été annoncée par le Fils de Dieu, qui a ramené le fils prodigue à l'héritage paternel et a conduit les prostituées à la béatitude des justes dans le royaume des cieux. Oui, moi aussi, je suis l'un d'eux : accueille-moi comme eux, comme ayant besoin de ton grand amour pour l'humanité, moi qui vis de tes grâces ».
Voici seulement deux exemples de la force vibrante avec laquelle l'émotion du cœur se mêle en Orient à la lucidité de l'esprit pour décrire notre immense pauvreté sauvée par l'infinité de l'amour de Dieu.
Chers frères cardinaux, alors que se rapprochent les jours où nous serons appelés à choisir le nouveau Pape, mettons sur nos lèvres l'invocation du Saint-Esprit qu'un grand père oriental, saint Siméon le Nouveau Théologien, a écrite au début de ses hymnes : « Viens, lumière véritable ; viens, vie éternelle ; viens, mystère caché ; viens, trésor sans nom ; viens, réalité ineffable ; viens, personne inconcevable ; viens, bonheur sans fin ; viens, lumière sans déclin ; viens, attente infaillible de tous ceux qui doivent être sauvés. Viens, toi qui as désiré et qui désires mon âme misérable. Viens, toi, le seul, à moi, seul, car tu vois que je suis seul ; afin que, te voyant éternellement, moi qui suis mort, je vive ; que, te possédant, moi qui suis pauvre, je sois toujours riche et plus riche que les rois ; moi qui, mangeant et buvant de toi et me revêtant à chaque instant de toi, passe de délices en délices aux biens inexprimables, car tu es tout bien et toute gloire et toute délicieuse et c'est à toi qu'appartient la gloire, ô sainte, consubstantielle et vivifiante Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit (...) maintenant et pour les siècles des siècles. Amen ».
MESSEAU SEPTIÈME JOUR DES NOVENDIALI
HOMÉLIE DU CARDINAL CLAUDIO GUGEROTTI,
ANCIEN PRÉFET DU DICASTÈRE POUR LES ÉGLISES ORIENTALES
Basilique Saint-Pierre
Vendredi 2 mai 2025
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